mardi 10 novembre 2015

Tu es cela.


La colère me saisit tout entier, comme la venue d'une tempête décolore le ciel.

Soudain, je dois me plier au caprice d'une force que je n'ai pas décidée, mais qui vient de surgir d'elle-même. Cette pulsion qui me fera renverser un meuble, qui fera trépigner les muscles de mes bras et leur donnera envie de cogner, je la connais. Je l'ai déjà observée ailleurs. Je l'ai reconnue dans la fureur de la nature, qui arrache les toitures, déracine les arbres et jette les voitures en travers des routes par le souffle d'un ouragan. Je l'ai vue aussi transformer de paisibles fleuves en furies infernales avalant les champs, les maisons et les hommes. Cette pulsion de colère, qui m'est si intime et si immédiate, je dis pourtant qu'elle est identique à celle qui fait cracher aux soleils des langues de feu de cent millions de kilomètres, et identique aussi à celle qui fait se fracasser d'énormes astéroïdes sur des planètes où tout était calme depuis un milliard d'années.

Si je regarde autour de moi, c'est mon propre visage que je découvre. Tat tvam asi, professait la philosophie indienne du Vedanta  : « tu es cela ». Je sais, écrivait Schopenhauer dans un accès de fièvre prophétique, je sais qu'on me traiterait de fou si je prétendais que le chat qui joue actuellement dans la cour est le même que celui qui y faisait les mêmes bonds il y a six cents ans, mais je sais qu'il est bien plus fou encore de croire que ces deux chats sont totalement différents de part en part.