dimanche 18 mars 2018

La justice et les émotions

Par Anne Lesper

Nous vivons dans un monde surmédiatisé. Toujours devant un écran, nous mangeons de l'info, du buzz et de l'intox avec boulimie, sans regarder sur les quantités ou les dates de péremption. Et plus on en mange, plus on est accro. Pourquoi ? Parce que les médias ont besoin qu'on les regarde pour exister. Ils ont besoin de nous attirer à eux le plus possible, le plus souvent possible et le plus longtemps possible.

Et comment s'y prennent-ils et y arrivent-ils si bien ? Ils nous tiennent par les émotions. Par les sensations, le sensationnel. Et ça fonctionne, alors pourquoi s'en priveraient-ils ? Si on regarde le champ lexical utilisé dans les titres et les lancements des sujets de journaux télévisés, on peut vite se rendre compte qu'ils tournent autour des émotions. "Incroyable", "attendrissant", "saisissant", "spectaculaire", "soulagement", "indignation"...

On consomme de l'info comme on regarde un film au cinéma. Plus rien n'est rationnel. On écoute ses émotions et, de là, on discerne les gentils et les méchants. Et on se fait juge des événements que traverse notre société.

Or, nous avons la chance de vivre en France dans une société démocratique, avec une justice séparée des pouvoirs de l'Etat. Et elle est gouvernée par des lois.

Il fut une époque où nous étions nos propres justiciers. C'était l'époque des tragédies. Seulement, la tragédie mène le héros à sa perte. Toujours. Son honneur, sa colère, sa tristesse, les Dieux, l'obligent à rendre justice lui-même, quitte à mourir ou à perdre tous ceux qu'il aime.

Dans une démocratie, ce que permet la justice c'est d'empêcher que le drame tourne à la tragédie.

Dans le drame, il n'y a pas d'honneur à défendre, de destin auquel on doit faire face, de Dieux que l'on doit honorer. Au tribunal de la démocratie, il y a la victime, l'accusé et le juge. Pas de place pour les Dieux, pas de place pour les émotions. Il y les faits, la loi et le juge pour la faire appliquer. En se substituant au juge de la démocratie avec nos émotions et nos Dieux, on revient à un monde sauvage où chacun agit en fonction de ses propres règles, de ses propres convictions. Retour au chaos.

Les émotions font partie de notre nature, et croire en un dieu ou plusieurs dieux ou aucun est l'affaire de chacun pour soi, mais en aucun cas cela ne doit intervenir dans la justice de la démocratie.